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Le roi est mort, vive le roi ! (II) : Blatter allonge la monnaie


L
Jeudi 3 Septembre 2009

L’aimable Allemand Egidius Braun était le trésorier européen. Gazouillant comme un moineau en rut à la tribune, il rappela à tout le monde l’aide financière apportée par l’UEFA à l’Europe de l’Est (genre : «Et vous là-bas, au fond, vous écoutez bien ? Rappelez-vous ce bon M. Johansson quand vous irez voter à Paris ! »). Havelange ruminait son chewing-gum. Quand les deux écrans géants au-dessus de la scène s’animèrent avec le rapport financier de M. Braun montrant tout plein de jolis francs suisses, Havelange se ragaillardit. Pas pour longtemps. Etant enfin parvenu à retenir l’attention du vieil homme, M. Braun en profita pour déclarer que, dans le nouveau monde d’honnêteté qui suivrait le congrès de la FIFA, il ne devrait pas « y avoir une seconde caisse, comme on dit en Suisse ! ».
Ce n’était pas la seule couleuvre à avaler prévue au programme. Les grands écrans montrèrent ensuite le visage de Pelé, le plus grand supporter de Johansson et l’ennemi juré d’Havelange. Il fit un discours politique tout en sourires. « J’ai rencontré des rois et des reines, des présidents et des stars au cours de mes voyages à travers le monde. Mais je n’ai encore jamais rencontré quelqu’un qui ait plus à cœur l’honnêteté et la transparence du football que mon ami Johansson. J’espère de tout mon cœur qu’il sera le prochain président de la FIFA».
Le congrès s’acheva sur une ovation pour Johansson. Havelange bondit de son siège et, plus leste que jamais pour un homme de quatre-vingt-deux ans, se fraya un chemin entre les délégués en direction de la sortie. Il aperçut un vieil ami, s’arrêta. Ils échangèrent  quelques messes basses, puis il s’éloigna dans le couloir, avançant inexorablement à travers la foule. Hors d’haleine, je jouai des coudes dans la mêlée. Je faillis le rattraper dans le hall de l’hôtel, mais il était déjà dans le parking, grimpant dans la plus grosse Mercedes de location de Dublin et démarrant en trombe dans Pembroke Road, avant de disparaître dans la lumière printanière de cette fin d’après-midi.
 Les deux rivaux firent le tour du globe, se frôlant du bout des ailes, chacun tentant de chiper les voix de l’autre. Deux semaines plus tard, ils se retrouvèrent à Kuala Lampur pour le congrès asiatique. Blatter déclara  que l’Europe et l’Afrique étaient divisées et qu’il allait l’emporter. Johansson annonça qu’il avait reçu par écrit les promesses de vote de cinquante des cinquante et une fédérations européennes, d’au moins soixante autres ailleurs dans le monde et que l’affirmation de Blatter ne tenait pas la route.
Blatter a l’énergie brute et l’instinct d’un professionnel de la survie. Il sait balayer une salle du regard en quelques secondes, décochant de larges sourires amicaux aux visages connus, alors même que leurs relations sont plutôt glaciales. Johansson tient plus du gentleman : le football est une grande famille et on ne dit pas du mal d’un cousin, même s’il a passé les six derniers mois à tenter de vous faire la peau.
A Kuala Lampur, il fut pourtant à deux doigts de se lâcher : « Havelange n’est pas neutre. Il me fait dire des choses que je n’ai pas dites, ce qui est mal. Il ne se fonde pas sur la vérité, ce que je trouve alarmant». Puis il se ressaisit, légèrement honteux : « J’ai essayé de ne rien dire mais, parfois, trop c’est trop ». Ce fut peut-être là, pour la première fois, que ses aides entrevirent la possibilité d’une défaite, le soupçon se faisant jour en eux que Lennart n’était pas assez impitoyable … Etait-il naïf au point de croire que les promesses écrites se traduiraient  forcément par des voix ?
Nairobi, 20 mai 1998
Au début, ce n’était qu’un point noir dans le ciel, puis il prit la forme d’un petit jet privé venant du sud, de Golden City. Les responsables du football ne tenaient pas en place, leur main en visière pour se protéger du soleil matinal de ce mai africain. Ils avancèrent sur le tarmac tandis que le jet roulait vers le terminal de Nairobi. Les moteurs s’arrêtèrent, la porte s’ouvrit et M. Blatter apparut, en provenance de Johannesburg, agitant la main, un grand sourire aux lèvres, certain de parvenir à se souvenir des noms de ceux dont ses conseillers à bord lui avaient dit qu’ils seraient là pour l’accolade, leur glisser un mot ou deux, pour faire en sorte qu’ils changent d’avis et renoncent à donner leurs voix à son rival.
Blatter arrivait le cœur joyeux. Il avait rencontré les responsables d’Afrique du Sud, du Mozambique, de l’Angola, du Lesotho et de la Namibie, soit cinq voix. Il leur avait promis qu’avec son soutien l’Afrique du Sud hériterait de la Coupe du monde en 2006. S’il gagnait, il injecterait encore plus d’argent dans le continent noir. Son auditoire apprécia la teneur de ses discours, en public aussi bien qu’en privé. Cinq voix arrachées à Johansson, qui, lui, soutenait la candidature de l’Allemagne pour 2006. A Kigali, Havelange avait commencé à mettre en pièces le vote groupé promis au Suédois par les dirigeants du football africain en février. Blatter poursuivait le travail. L’Afrique se craquelait.
Blatter n’était pas venu seul, sa garde rapprochée l’accompagnait dans ce périple, une petite équipe soudée et impitoyable, déterminée à faire changer les Africains d’avis. Juste derrière Blatter se tenait Corinne, sa fille. Puis venait Emmanuel Maradas, un grand gaillard au crâne rasé originaire du Tchad qui servait à l’occasion de porte-parole de Blatter pour la presse. Habitant dans le nord de Londres, il était marié à Nim Caswell, rédactrice sportive au Financial Times, et, ensemble, ils éditaient le mensuel African Soccer Magazine.
La société ISL dirigée par Jean-Marie Weber achetait au prix fort des pages entières de publicité dans ce magazine, et le couple était régulièrement invité aux manifestations et soirées de la FIFA. Blatter  et Havelange étaient fréquemment la cible d’attaques dans la presse un peu partout dans le monde, mais Nim et Emmanuel adoptaient une vision nettement plus bienveillante. Dans ses valises, Emmanuel transportait des exemplaires du numéro de mai d’African Soccer Magazine, dont l’éditorial, “Loyautés divisées”, caressait dans le sens du poil ceux qui auraient envie de voter pour Blatter.
Le dernier à descendre de l’avion fut le jeune avocat suisse Flavio Battaini, Etrange... N’aurait-il pas dû être à Zurich, derrière son bureau à la FIFA? Que faisait-il là, risquant sa réputation de neutralité juridique en se faisant voir dans l’un des deux camps rivaux? Quand Blatter s’était enfin décidé à déclarer sa candidature, il avait été contraint de quitter l’hôtel particulier de Sonnenberg pour prendre ses quartiers de campagne dans son spacieux appartement au dernier étage d’un immeuble de Zollikon, avec vue sur le lac. Il avait donné sa parole qu’il ne profiterait ni des fonds, ni de l’équipement, ni du personnel de l'organisation. Pourtant, c’était sa fidèle secrétaire Helen Petermann, depuis son bureau voisin de celui, à présent vide, de Blatter, au premier étage de la FIFA, qui avait rédigé et envoyé le fax convoquant la réunion de Nairobi.
A SUIVRE



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